Interdiction du chalut dans les aires marines protégées : la France plaidera le « cas par cas »
Alors que se profile la Conférence des Nations unies pour l’océan (Unoc) accueillie par la France à Nice en juin, la question de l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées met le monde de la pêche en effervescence. Or, selon les dernières déclarations du ministère de la Mer d’Agnès Panier Runacher, la France souhaite défendre et soutenir une approche au cas par cas et pas une interdiction totale.
La France à travers la voix de la ministre Agnès Pannier Runacher, plaidera lors de l’Unoc pour une approche au cas par cas du chalutage dans les aires marines protégées. | LIONEL FLAGEUL
Mélanie CHARTIER. (Le Marin)
La question est sur toutes les lèvres. L’interdiction totale du chalutage redoutée par le secteur de la pêche, déjà confronté à de multiples crises et enjeux, se profile-t-elle ? Sera-t-elle annoncée lors de la conférence des Nations unies pour l’océan (Unoc) accueillie par la France en juin prochain comme l’appellent de leurs vœux de nombreuses ONG mettant la pression dans ce sens au président Macron ?
Posée mercredi 19 mars, notamment par le député breton et ex-secrétaire d’État chargé de la mer Hervé Berville à Olivier Poivre d’Arvor, lors de son audition sur les grands enjeux de l’Unoc devant l’Assemblée nationale, la question est restée sans réponse. L’ambassadeur de la France pour les pôles et les enjeux maritimes a en effet botté en touche déclarant : Ce n’est pas mon sujet et renvoyant à la ministre de la Mer, en charge de ce dossier sensible.
La France soutiendra une vision au cas par cas
— Cabinet du ministère de la Mer, sur le chalutage dans les aires marines protégées
La France soutiendra une vision au cas par cas , a tranché le cabinet de la ministre vendredi 21 mars, lors du point presse précédant le conseil Agripêche qui aura lieu lundi 24 mars à Bruxelles, le premier d’Agnès Pannier Runacher en tant que ministre de la pêche. Cette dernière y rencontrera notamment le commissaire européen Costa Kadis. Le dossier du chalutage dans les aires marines, sera abordé au moins formellement car c’est un sujet qui est porté par la ministre dans le cadre de l’Unoc, mais aussi une ambition présidentielle. La Commission précédente avait déjà abordé ce sujet épineux, notamment à travers le plan d’action présenté par le commissaire Sinkevicius qui avait comme mesure principale l’interdiction du chalutage de fonds dans les AMP pour 2030.
La France opposée à une interdiction généralisée
La France s’était opposée à l’interdiction généralisée, rappelle le cabinet de la ministre, prônant déjà une méthodologie au cas par cas. Cette dentelle française des aires marines protégées correspond à une méthode étayée par la science, avec comme objectif la définition de zones prioritaires d’ici 2026 pour une mise en gestion en 2027 .
Ce message sera donc défendu par la ministre pour l’Unoc avec la volonté de l’intégrer spécifiquement au Pacte européen pour les océans annoncé par Ursula Von der Leyen lors de sa reconduction à la tête de l’exécutif européen, en juillet 2024. Ce pacte qui vise à soutenir l’économie bleue et à renforcer la protection des espaces maritimes sera dévoilé également en juin à Nice.
Des propos apportant de la clarté qui vont dans le sens de la déclaration de la ministre vendredi 22 mars au Sénat. Interrogée par la députée finistérienne Nadège Havet en séance au sujet des inquiétudes exprimées par l’OP Les Pêcheurs de Bretagne sur les nombreuses tensions du secteur et la teneur de l’engagement de la ministre en sa faveur à l’Unoc, Agnès Pannier Runacher a répondu sans détour. Les pêcheurs auront tout notre soutien à l’Unoc, c’est mon rôle de les défendre, de m’assurer qu’ils puissent contribuer à notre souveraineté alimentaire, c’est l’ambition que je porte dans le Contrat stratégique de filière signé lors du Salon de l’agriculture en présence du président de la République et des représentants de la filière .
Une approche équilibrée
Ce positionnement engagé fait également écho aux déclarations récentes du Commissaire européen Costa Kadis, partisan d’une approche équilibrée et d’une possible conciliation du chalutage de fond et de la préservation de la biodiversité dans les aires marines protégées (AMP), fondée sur les données scientifiques. Lorsqu’il existe des preuves d’un impact, le chalutage de fond ne devrait pas être autorisé, Cependant, lorsqu’une évaluation d’impact montre qu’il n’y a pas de dommage significatif, par exemple dans les zones Natura 2000 qui autorisent des activités compatibles, le chalutage de fond devrait être autorisé à se poursuivre , a souligné le commissaire européen. Un positionnement important alors que le débat fait rage entre certains scientifiques et ONG, prônant l’interdiction complète du chalutage et pressant la France à se positionner dans ce sens, et pêcheurs, défendant le droit de conserver une activité raisonnée.
Les professionnels ne cessent de le répéter, à l’instar du comités régional des pêches de Bretagne, l’importance des chalutiers est cruciale pour notre souveraineté alimentaire , alors que la France importe 80 % des produits de la mer consommés dans le pays. Les chalutiers ne détruisent pas aveuglément les fonds marins, soulignent les pêcheurs. Leurs zones de pêche sont aujourd’hui strictement délimitées et tendent à éviter les secteurs sensibles ou à risque. Elles sont exploitées en fonction des saisons, sur des fonds vaseux ou sableux, avec une assistance technique (sondeurs…), mais aussi sous le contrôle croisé des autorités scientifiques et politiques afin de garantir un renouvellement optimal des stocks de poissons.
Des arguments partagés par l’eurodéputé et membre de la commission de la pêche Isabelle Le Callennec jugeant indispensable que la réglementation des pêches se fasse sur la base d’avis scientifiques objectivés et partagés avec les pêcheurs et non sur des principes idéologiques, voire radicaux . Elle rappelle ainsi que des exemples concrets prouvent qu’il est possible de concilier la préservation de la santé des mers et des océans avec une pêche durable, source de revenus pour les pêcheurs, leurs familles et l’ensemble de la filière.
La filièrerappelle également le poids économique de l’activité. L’OP Pêcheurs de Bretagne indique ainsi que pratiqué par 195 navires (dont 190 de moins de 25 mètres), soit près d’un tiers des adhérents des Pêcheurs de Bretagne, le chalut représente près de la moitié des apports en valeur (48 %) et en volumes (42 %).
Conseil européen Agripêche
Reste à savoir si les arguments français feront le poids et l’unanimité dans une actualité du secteur particulièrement riche d’enjeux. Lors du Conseil Agripêche lundi 24 mars, la ministre de la Mer doit également défendre la volonté française de lutter contre la pêche illégale et aborder avec le Commissaire européen la prochaine révision de la politique commune des pêches. La France souhaite pousser la Commission et le commissaire à présenter une copie pour la fin de l’année, au début 2026 , précise le cabinet soulignant l’occasion pour la ministre, utilisant le contrat de filière comme boussole pour prioriser ces axes de travail, de rappeler ses objectifs stratégiques, dont la nécessité de moderniser et de renouveler la flotte de pêche le plus rapidement possible.
La ministre rencontrera également, lors de la réunion d’un groupe coanimé par la France et par la Belgique, ses huit homologues européens concernés par le Brexit, autre dossier sous tension, et les enjeux du renouvellement des accords de pêche avec le Royaume-Uni en 2026. La France vient de décider récemment en interministérielle d’avoir une position ferme et offensive à Bruxelles, puisque la Commission prépare un sommet France Union européenne en mai prochain, précise le cabinet de la ministre. L’objectif est de stabiliser les positions au conseil de l’Union avec les États membres .